10 mai 2019
A l’heure où une commission d’enquête a rendu en septembre dernier (26/09/18) son rapport sur l’alimentation industrielle et ses préconisations sur les limitations d’additifs et autres ingrédients incorporés aux recettes des plats cuisinés (proposition de passer de 338 à 48 autorisés d’ici 2025 !) [1], ou encore 8 mois après la parution du numéro de 60 millions de consommateurs sur “ces aliments qui nous empoisonnent” (“pesticides, additifs, sucres cachés…”) [2], une conscience collective et individuelle émerge très nettement sur la qualité de ce qu’on met dans son assiette.
Vers une prise de conscience
D’un point de vue politique, il s’agit même d’un enjeu de santé publique. D’après l’INSERM [3], tandis que l’espérance de vie théorique moyenne a augmenté, le nombre moyen d’années de vie passées en bonne santé pour les personnes de 65 ans stagne. Les français vivent donc plus longtemps mais également plus longtemps en mauvaise santé. Cette même commission d’enquête reconnaît que la mauvaise alimentation est une des principales causes d’une épidémie mondiale de maladies chroniques : “une mauvaise alimentation rend malade, voire tue.” [1].
une conscience collective et individuelle émerge très nettement sur la qualité de ce qu’on met dans son assiette.
Depuis 2013, l’OMS a proposé son plan d’action mondial 2013-2020 pour la lutte contre les “maladies non transmissibles” tendant à arrêter notamment l’augmentation du diabète et de l’obésité [4]. Lors de la conférence internationale sur la nutrition (CIN2), co-organisée par la FAO et l’OMS en novembre 2014, ce sont 170 pays qui se sont engagés à poser un cadre d’action dans ce sens.
Voilà une bonne base de départ pour sensibiliser plus largement au lien entre ce qu’on mange et une bonne santé. C’est sur cette base que se fonde les premiers conseils d’un Naturopathe.
Un aliment dans la ligne de mire : le sucre
Une consommation excédentaire
Parmi tous les additifs présents dans l’industrie agro-alimentaire, j’ai souhaité faire un focus tout particulier sur le sucre.
Celui-ci est omniprésent dans nos rayons de supermarchés, dans les produits transformés et les boissons (même le ketchup ou la charcuterie…). Si l’on regarde de près l’étiquette d’un paquet de gâteaux,on sera bien étonné de voir excéder les 10 ingrédients, avec possiblement des noms peu familiers comme sirop de glucose, sucre inverti, erythrytol, maltose,… Tous ces noms appartiennent à la grande famille des sucres, et plus globalement celle des glucides.
Ce sujet a été l’objet de mon mémoire de fin d’études de Naturopathe. Il tente de mettre de la lumière sur ces différents glucides et de comprendre comment le corps les digère et les utilise, dans le but de faire le lien entre les dysfonctions de notre organisme et l’excès de sucre.
De nombreux enfants consomment chaque année l’équivalent de leur poids, ou d’avantage, en sucre ajouté.
Car le constat est clair : nous mangeons trop de sucre. La consommation dans le monde a augmenté de 46 % au cours des 30 dernières années. Aux Etats-Unis, elle est de 165 g par jour et par personne (soit 60 kg par an et par personne!) et représente 20 à 25% de l’ensemble des calories consommées [5]. D’après des enquêtes alimentaire nationales(CREDOC, 2000, 2010) [7], la consommation moyenne de glucides simples en France s’élève à 94 g par jour, adulte comme enfant, soit 35 kg/an. De nombreux enfants consomment donc chaque année l’équivalent de leur poids, ou d’avantage, en sucre ajouté. Et ce n’est qu’une moyenne. Cela veut dire que certains consomment potentiellement bien plus!
Pour quelles recommandations?
Cette consommation dépasse à minima les recommandations officielles :
- A l’heure actuelle, l’OMS recommande un apport maximum de sucres libres* de 10% de la ration calorique. Et encore, en mars 2015, il a même été question de réduire ce chiffre à 5% ! Même si l’OMS considère en effet qu’il est probable que cette réduction apporte des améliorations, ce chiffre de 5% restera sur “la réserve” tant que l’OMS n’aura pas suffisamment d’études jugées fiables [8]
- En France, l’ANSES** a fixé une limite à 100g par jour de sucres totaux (hors lactose), c’est à dire tous sucres confondus (sucres ajoutés et sucres naturellement présents, comme dans les fruits ou compotes sans sucre ajouté).
Aux Etats-Unis, l’USDA (département de l’Agriculture) s’appuie sur les recommandations officielles de l’OMS mais conseille également un apport très réduit de sucre pour les enfants et distingue même des limites par tranches d’âge. Ces conseils sont basés sur des observations cliniques de différents pédiatres alertes [9] :
Age de l’enfant | Maximum de sucres ajoutés /j |
Enfants de 2 à 3 ans | 67 calories 16g |
Enfants de 4 à 8 ans | 60 calories 15g |
Garçons de 9 à 13 ans | 80 calories 20g |
Garçons de 14 à 18 ans | 132 calories 33g |
Filles de 9 à 13 ans | 60 calories 15g |
Filles de 14 à 18 ans | 80 calories 20g |
Tableau – Recommandation de consommation maximale quotidienne de sucre ajouté pour nos enfants (d’après l’USDA) [9]
L’excès de sucre à l’origine d’une inflammation chronique
Pour un Naturopathe, le conseil à suivre ces chiffres très bas n’est pas du luxe. En effet, l’excès de sucre va bien au-delà des symptômes comme la carie ou l’obésité. Il crée des troubles plus ou moins graves de retour à l’équilibre homéostasique, empêchant notre potentiel d’auto-guérison, pour laquelle nous sommes pourtant tous programmés à la naissance. Le point commun à tous ces dérèglements en lien avec l’excès de sucre est l’inflammation.
1. Dérèglement de la flore intestinale (ou dysbiose)
La flore intestinale raffole bien évidemment de sucre, comme nos propres cellules. Et oui, une flore déréglée, c’est une agression permanente de la muqueuse et des tissus, mais aussi une carence en micronutriments, une immunité affaiblie,une influence sur notre sécrétion hormonale. On n’imagine pas à quel point notre microbiote a une influence puissante sur nos pensées, nos goûts alimentaires, nos envies, notre humeur, et même notre caractère et tempérament, …
2. Complications liées à une hyperglycémie chronique
Le sucre en excès dans le sang est toxique car, suivant la réaction de Maillard, il se fixe spontanément sur des protéines (telles quel’hémoglobine, les LDL, etc…). Cela modifie ainsi leur structure, ce qui peut conduire, au mieux, à une baisse de la performance de leur fonction, au pire à leur inhibition totale. Le Dr Perlmutter affirme dans son livre Ces glucides qui menacent notre cerveau[10], que contrairement aux idées reçues pendant plusieurs décennies, les maladies coronariennes ne sont pas favorisées par le cholestérol ou le LDL mais parle LDL oxydé, dont l’excès de sucre dans le sang serait une des causes d’oxydation et de production de radicaux libres. Ainsi, dans l’athérosclérose, l’accumulation de cholestérol sur la paroi des artères pourrait être due à une erreur de repliement de la protéine LDL.
3. Dysfonctionnement hormonal insuline / leptine
Lorsque les cellules sont continuellement exposées à des taux élevés de sucre, et donc à un taux élevé d’insuline (hormone sécrétée par le pancréas qui régule le taux de glucose dans le sang), elles risquent de se “désensibiliser” à l’insuline et de créer une insulino-résistance. L’organisme est alors moins performant à réguler la glycémie, qui se trouve continuellement trop élevée (et donc toxique, comme vu précédemment) et l’insulinémie augmente (taux d’insuline dans le sang). Ceci a pour effet de dérégler une hormone importante dans la régulation de la faim : la leptine. L’excès d’insulinémie inhibe la leptine et le cerveau se retrouve à crier famine et à inciter la personne à une prise d’alimentation excédentaire alors que les tissus adipeux sont surabondants. Obésité, syndrome métabolique sont les suites classiques de cet engrenage, avec tous les risques de complications associés, ainsi qu’un surmenage du foie et du pancréas assuré….
4. Alimentation des cellules cancéreuses
Ce sont en effet des cellules dont la “respiration” mitochondriale dysfonctionne, la rentabilité énergétique est très faible, elles ont besoin de beaucoup de carburant (glucose) pour un faible rendement. Avec un excès de sucre, elles risquent donc de continuer à être partiellement nourries et entretenues.
5. Dépendance
Non seulement un régime hyperglucidique crée un dérèglement inflammatoire chronique, mais en plus il serait impliqué dans un cercle vicieux de dépendance. La prise de sucre est associée au plaisir dans la mesure où il déclenche une sécrétion de dopamine dans le circuit cérébral primaire de la récompense, qui perd son auto-régulation lorsque la dose de sucre devient chroniquement excédentaire [5]. L’arrêt de sucre peut alors relever d’un réel sevrage pour les adultes (cf le film ThatSugar Film [11]) comme pour les jeunes enfants [9].
Pas à pas vers un régime approprié
Dès lors, on comprend que l’excès de sucre devient problématique dans une société où l’opulence des rayons de supermarchés assure pléthore de produits transformés sucrés, que nous sommes programmés à aimer.
Prendre du recul sur sa façon de s’alimenter, retrouver du bon sens dans son alimentation et son hygiène de vie globale, expérimenter du nouveau, emprunt de traditionnel et de local, baisser les calories tout en augmentant la qualité nutritive… Bref mettre de la conscience dans ce qu’on mange, s’informer, prendre le temps de cuisiner. De beaux défis et de belles résolutions pour 2019 !
Pour télécharger le mémoire : me contacter
* sucres libres : sucres ajoutés et sucres présents dans le miel, les sirops et les jus de fruits.
**ANSES : Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’Environnement et du travail
Crédits photos Pixabay
Références :
1. Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence des pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance. Enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 28/09/2018. N° 1266. [Consulté le 22 janvier 2019].Disponible à l’adresse : http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-enq/r1266-tI.asp
2. METZELARD Sylvie, 2018 [rédactrice en chef]. 60 millions de consommateurs. Hors-série n°125S. Ces aliments qui nous empoisonnent : pesticides, additifs, sucres cachés…. Comment les repérer. Mai 2018
3. ROBINE Jean-Marie, 2013. Espérance de vie enbonne santé : dernières tendances. Presse INSERM [en ligne]. Avril 2013. Information presse. [Consulté le 22 janvier 2019]. Disponible à l’adresse : https://presse.inserm.fr/esperance-de-vie-en-bonne-sante-dernieres-tendances/7858/
4. OMS, 2013. Projet de plan d’action pour la lutte contre les maladies non transmissibles (2013 –2020). OMS Conseil exécutif. Janvier 2013. EB132/7.
5. LUSTIG Robert, 2017. Sucre, l’amère vérité : comment le sucre et les aliments industriels nous rendent gros et malades. EditionsThierry Souccar. 2017
6. CREDOC,2000. LOISEL J-P, COUVREUR A, SIMONET C. Elaboration d’une table de composition nutritionnelle des aliments vecteurs de glucides simples. Cahier de recherche n°154. Décembre 2000
7. CREDOC, 2011. MATHE T, FRANCOU A, COLIN J, HEBELP. Comparaison des modèles alimentaires français et états-uniens. Cahier de recherche n° 283. Décembre 2011
8. LINDMEIER C., LAWE DAVIES O., 2015. Communiqué de presse de l’OMS. L’OMS appelle les pays à réduire l’apport en sucres chez l’adulte et l’enfant. Mars 2015. .[Consulté le 22 janvier 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.who.int/mediacentre/news/releases/2015/sugar-guideline/fr/
9. TEITELBAUM Jacob et KENNEDY Deborah, 2014. Ils mangent trop de sucre : un programme pour limiter l’apport en sucre et préserver la santé de nos enfants. Hachette Livre (Marabout family). 2014
10. PERLMUTTER David, 2016. Ces glucides qui menacent notre cerveau : pourquoi et comment limiter le gluten, sucres et glucides raffinés. Hachette Livre (Marabout). 2016
11. GAMEAU Damon [réalisateur], 2014 (en Australie). That Sugar Film (Sugarland, en France). [Documentaire]. Australie : Madman Production Company. 1h42.